Tambouille pour écrivain

Choisir d’être écrivain

Je suis comme 99% des gens qui écrivent : je revendique haut et fort que “j’écris depuis toujours.” Moi j’ai fait partie de ces gamins qui aimaient s’inventer des histoires rocambolesques, qui dès qu’ils l’ont pu, ont commencé à les consigner dans des carnets.

“J’écris depuis toujours”

Il fut un temps où je portais cette phrase comme un étendard, une certitude. Oui, j’écris parce que j’ai toujours écrit. Parce que ça a toujous été ancré en moi. C’est cette ancienneté qui fait que je suis écrivain. Comme quelqu’un qui se sentirait légitime pour une promotion après vingt ans de boîte.

Cette certitude m’a permis d’avancer. Chaque fois que je galérais sur un chapite ou sur un livre entier, j’arrivais à me dire : j’écris depuis toujours. C’est pas cette petite scène qui va m’arrêter. Et même dans les périodes plus creuses, je me rappelais que l’écriture avait toujours été là. Que c’était ma vocation, un appel qui venait du vide. Et j’y croyais.

Le problème

Comme dans toute bonne histoire, ou par extension dans toute bonne théorie, cet article a un problème.
Je crois franchement en l’idée de vocation. Mon amoureux est enseignant. On se connaît depuis plus de dix ans et il m’a toujours dit qu’il voulait être prof. Petit, il apprenait à son frère à lire. Il s’est toujours tourné vers des activités où il pouvait travailler avec des plus jeunes. Transmettre un savoir, des valeurs. Aujourd’hui, il s’épanouit dans son travail et cherche sans cesse à s’améliorer. L’enseignement était sa vocation.

Quand je le regarde et que je me regarde, j’essaie d’analyser ce qui sépare ma vocation de sa vocation. Evidemment, on me dira que c’est plus facile de devenir prof qu’écrivain. Il y a des études, un cursus, un programme, un concours et un véritable travail rémunéré à la clé. Ecrivain, ça reste beaucoup plus nébuleux. On tâtonne, on apprend tout seul dans sa chambre, on écrit beaucoup sans aucune certitude que cela finisse par payer. Donc c’est différent. Mais la différence entre mon amoureux et moi se situe ailleurs.

Le choix

Dans la vie, tout est un choix.

J’ai réfléchi alors à mon amoureux. Il voulait être prof, alors il a fait des choix. Il a animé des colos, il a choisi un parcours universitaire qui l’a mené au CAPES. Il est parti enseigner à l’étranger. En fait, il a organisé sa vie pour que sa vocation y ait pleinement sa place. Il tracé un chemin qui puisse le mener là où il voulait. Il l’avait pleinement choisi.

Moi, j’ai fait un choix, aussi. J’ai consacré mon temps à écrire, réécrire, faire des plans, prendre des notes. J’ai investi de l’argent dans des livres qui enseignent l’écriture. J’ai fait mes recherches, j’ai fait mes petites études, dans mon coin. Mes études pour devenir auteure. Mais contrairement à mon copain, je n’ai pas de diplôme qui attestent de mon assiduité, pas de concours à passer. J’ai juste le temps passé à travailler seule.
Mais c’était mon choix, mon ambition.

Le doute

Le doute est bon, et pourtant j’ai besoin de certitudes tangibles et fortes. Mais que se passe-t-il quand ces certitudes sont à peine perceptibles, qu’elles n’existent que dans notre tête?

Mais en fait, le doute est bon. Parce que ce doute, ce “suis-je vraiment écrivain?” m’a permis de m’arrêter, de poser mon crayon et de me poser de vraies bonnes questions.

Parce que, comme tout le monde, je traverse des périodes de doute, et ces derniers temps, ma grande question était : suis-je vraiment écrivain?
Est-ce que je suis vraiment écrivain parce j’écris depuis toujours? Parce que j’ai une vraie facilité à aligner les mots? Parce que j’ai de l’imagination?
Des tas de gens ont ces capacités et n’en font pas un travail. Alors pourquoi je serais différente?
Pour la première fois de ma vie, je me suis posé la question : est-ce que si j’abandonnais l’écriture, ça me manquerait?

Quand ces questions sont venues, je les évacuées. J’ai pensé : non, non, non, j’ai toujours été un écrivains. Si j’arrête que vais-je dire à mon enfant intérieur? Il va me faire la gueule (je tiens à rappeler que mon enfant intérieur faisait des gâteaux de cailloux et faisait caca dans le bain, je ne sais pas si c’est quelqu’un de très fiable.)
Alors que ces questions étaient vraiment bonnes. Il fallait que je me les pose. Parce que ce n’était pas le postulat “Je suis écrivain” qui avait changé. C’était les raisons.

Les raisons

Un choix repose sur des raisons. Je fais telle chose/je ne fais pas telle chose pour telle(s) raison(s). Ce ne sont pas des raisons qu’on utilise pour se justifier auprès des autres, mais pour se justifier auprès de soi.
Et parfois, la raison n’a pas besoin d’être complexe, ni de s’écrire sur dix pages. Le fait que j’écrive depuis toujours et que j’en ai toujours eu envie ne fait pas de moi quelqu’un de spécial. Non, ce qui fait de moi un écrivain, c’est simplement un choix, celui d’être écrivain.

Quand j’ai réalisé que j’avais besoin de faire ce choix, en pleine conscience, ça a été assez révolutionnaire pour moi. Je ne comptais plus sur de vagues souvenirs d’enfance ou de très très très mauvais manuscrit qui dateraient des années 2000 pour me motiver. Je comptais sur une résolution claire, précise qui devait me mener à être la personne que je voulais être.

Il a alors fallu que je trouve une raison. Quelque chose de réel, qui ne repose pas sur du vent, qui puisse me nourrir dans les périodes de doute.
Et là, panique, je me rends compte que je n’ai aucune bonne raison de vouloir être écrivain.

Alors, je me suis tournée vers mon amoureux. Je lui ai demandé de me dire, comme ça, sans réfléchir, pourquoi il avait voulu devenir enseignant.
Il m’a dit : “Pour pouvoir faire des blagues aux élèves. Entrer dans une pièce, leur dire de ranger leurs cahiers, on fait une interro surprise. Après leur dire que c’était une connerie.”

Après, il m’a sorti tout un baratin sur la noblesse de ce métier, l’importance de transmettre. Mais je sentais que cette première raison, c’était la vraie. Il avait eu un mini cataclysme intérieur un jour en classe quand son prof leur avait fait cette blague. Et cela avait déterminé sa vie.

On vit tous ces moments-là. On peut les vivre mille fois. Parfois, ils nous tombent dessus, parfois, on les choisit. C’est ce que j’ai voulu faire. Déclencher ce moment. J’ai alors simplement écrit sur une feuille : “Je choisis d’être écrivain parce que je veux raconter des histoires.”

C’était aussi simple que ça. Je m’éloignais enfin des diktats du “Ecrire tous les jours” “écrire 500 mots par jour”, “faire sa pub sur les réseaux” que je m’impose trop souvent. Cela m’a permis de me reconcentrer sur la vraie raison. Ce qui m’anime, ce qui me donne vraiment envie. Ce qui me permet de faire des choix et de créer des priorités dans ma vie. Et si vous voulez en savoir plus sur les priorités, je vous renvoie vers l’excellent article de Jupiter Phaeton.

Chaque fois que je rechigne à travailler, je me dis : “Oui, mais j’ai envie de raconter une histoire, là.” Je lis et j’écris pour les mêmes raisons, parce que je suis curieuse, parce que je veux gratter la surface, savoir ce qui motive vraiment les gens sans qu’ils n’en aient conscience.

Je suis contente d’avoir fait ce choix. Consciemment. Cela m’aide encore à retirer l’aura mystique dont j’avais habillé l’écriture depuis des années. Et surtout, cela me permet de reprendre le contrôle sur ma vie et mes ambitions.

Et vous, savez-vous pourquoi vous voulez être écrivain? Quelles motivations se cachent derrière cette vocation?

(11) Comments

  1. Très bel article ! C’est important de se recentrer et de comprendre nos motivations. On le fait très souvent avec nos persos et beaucoup moins avec nous-mêmes. Je me retrouve carrément dans ce que tu dis. Moi, pour être honnête, j’ai eu aussi envie de raconter des histoires, mais des histoires qui me ressemblent et que j’ avais aussi envie de lire sur certaines réalités que je vivais et que je ne retrouvais pas forcément dans les récits que je lisais.

    1. Lea Hendersen says:

      Je comprends tout à fait cette sensation de ne pas se retrouver dans ce qu’on lit. Ca a tendance à me frustrer, voire à m’agacer. C’est aussi pour ça que j’écris, aussi parce que je veux raconter ce que je veux comme je le veux 🙂

  2. Coucou et merci pour cet article qui résume ô combien les doutes qui m’animent depuis que j’ai assumé haut et fort aimer (et vouloir) écrire, pour la même raison que toi, parce qu’en fait, si je doute sur beaucoup de sujets, lorsque j’écris, tout s’envole. Car tout ce que j’aime au fond, c’est raconter des histoires, des courtes pour l’instant, et des longues par la suite. Bon, je travaille à côté ahah, mais j’aime ce que je fais, et ça ne m’empêche pas de pouvoir m’adonner à ma passion jusqu’au jour où peut-être… j’en ferai mon métier 🙂 ! Bon courage à toi, et belle journée, Sabrina.

    1. Lea Hendersen says:

      Je te rejoins à 100%. Moi aussi j’ai des documents Word partout avec des petites et des grandes histoires sur tout ce que j’avais envie de raconter. C’est comme d’être la gardienne officielle de dizaines de personnages. J’adore cette sensation. Et moi aussi, j’ai un boulot à côté. Un jour, peut-être que d’écrire des histoires va payer mes factures, mais pour l’instant… 🙂 En tout cas, je te soutiens à fond !

  3. Oui, tu as raison, c’est un choix. Et, des articles que j’ai pu lire de toi, que tu as raison de faire. 🙂
    Un choix que j’ai fait à huit ans, et un choix que je n’ai pas respecté pendant de longues années.
    J’écris aussi depuis que je suis enfant (j’ai d’ailleurs fait une photo du tout petit carnet, avec mes premières histoires, que je publierai sur Insta dans deux jours ^^ ).
    J’avais lu Les quatre filles du Dr March, et le personnage de Jo avait été une révélation, pour moi (photo du jour sur Insta, héhé, avec mon exemplaire de l’époque, tout corné).
    Puis on m’a fait comprendre qu’il fallait que je fasse des études, parce que bon, gagner sa vie grâce à l’écriture, tu sais… Alors j’ai été sage, j’ai fait des études, et, dans la foulée, j’ai fait des enfants.
    Le quotidien m’a tenue éloignée de l’écriture.
    C’est plus tard, quand tout a implosé, que j’ai fait le choix de revenir à la fiction (même si je ne l’avais pas tout à fait abandonnée – je rédigeais des nouvelles, j’avais des tas d’idées).
    Depuis, je n’ai cessé d’écrire, malgré les reproches, malgré les craintes de mes proches, malgré les “c’est qu’un hobby, et ton vrai travail, c’est quoi ?”.
    Je persiste, parce que je ne me vois pas faire autre chose.
    J’aime trop écrire.
    Tout m’y ramène.

    1. Lea Hendersen says:

      Je n’ai jamais lu les Quatre Filles du Docteur March, mais vu tout ce que tout le monde en dit, il est peut-être temps que je me lance.
      Je comprends aussi ce que tu veux dire : quand j’étais plus jeune et que je disais à qui voulait l’entendre que je voulais devenir écrivain, les gens me disaient toujours que ce n’était pas un choix sérieux, que je devais avoir autre chose à côté. Avec du recul, je sais aujourd’hui que c’est important en effet, d’avoir un revenu stable (en tout cas, pour moi, ça l’est parce que je suis une petite patachonne qui a besoin de son confort.) Mais je regrette d’avoir écouté les rabats-joie qui me disaient de ne pas prendre mes ambitions au sérieux. Après, c’était mon choix aussi de les écouter. Mais les choses sont ce qu’elles sont et aujourd’hui, j’écris et j’ai un travail à côté, je ne pense pas avoir à me plaindre.
      Comme toi, j’ai vécu un moment un peu charnière il y a deux ans, une expérience de travail désastreuse qui m’a ramenée à l’écriture. Et depuis, je m’accroche. Tes mots sont très justes : tout me ramène à l’écriture.

      1. C’est important, oui, et je ne regrette pas d’avoir connu le monde du travail “à l’extérieur”, qui m’a confortée dans mon choix actuel.
        Oui, accroche-toi, le chemin peut être chaotique, mais il vaut tellement la peine (et je dis ça alors que je n’en vis pas). 🙂

  4. Hyldakae says:

    Super article, je me retrouve aussi beaucoup dans ce que tu dis. Moi aussi j’ai “toujours écrit” (même si j’ai eu de longues périodes où je n’ai quasiment rien écrit, j’ai commencé très tôt dans ma vie, et les idées et l’envie ont toujours été là). Et même si je me dis parfois que “je pourrais vivre sans”, parce qu’il y a des choses qui m’intéressent et me passionnent encore plus, l’écriture fait malgré tout partie de moi, et je sais que je suis capable d’aller au bout d’un roman, et probablement de le faire publier. Et la raison, c’est juste que j’en ai envie, que j’aime ça, et que je m’en sens capable.

  5. Patrice S says:

    Merci pour cette passionnante introspection et pour cette prise de conscience majeure : se recentrer sur son seul désir, son désir comme mis à nu. En effet, l”art se suffit à lui-même, et il est sa propre justification. Mais pour parvenir à cette compréhension il faut un petit peu se couper du “monde”. Je dois dire que ce n’est pas toujours facile de mesurer tous les conditionnements dont nous sommes prisonniers… Bonne continuation !

    1. Lea Hendersen says:

      Et merci à toi pour ce commentaire très juste. Ce n’était pas une question facile à se poser parce que je me suis vraiment demandée si je pouvais y apporter une réponse. Et ça me faisait peur. Mais ce que tu dis se tient : l’art se suffit à lui-même.

  6. […] Y a pas de mal à se poser la question, en fait, je dirais que c’est plutôt sain. Moi, je me suis vraiment posé la question, est-ce que j’ai vraiment envie de devenir écrivai… […]

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